Le scandale des obligations pourries émises par l'état belge

Auteur: Thib13
Date de mise en ligne: 21/02/2013


En décembre 2005, l'état belge - via la main de son ministre des finances Didier Reynders à l'époque - signait un lancement d'obligations adossées à la récupération de créances fiscales sur des débiteurs - pardon, des contribuables belges - douteux et probablement défaillants. Ceci revenait donc à opérer une titrisation des créances susnommées via un véhicule d’émission obligataire afin de transférer le risque de l’état sur ses contribuables/débiteurs vers des investisseurs obligataires.

Le contribuable est débiteur de l’état belge, ce qui signifie que le contribuable a donc une dette fiscale envers l’état. En retour, l’état belge est créancier, ce qui signifie que l’état belge a donc une créance fiscale sur le contribuable.

Au départ, avant toute titrisation, la situation est donc la suivante :
Contribuable   <=             Créance                <= Etat belge
Contribuable   =>   Remboursement + intérêts  => Etat belge

Après titrisation, nous arrivons à la situation ci-après :
                            VEHICULE DE TITRISATION
Contribuable   <=         Créance <–> obligations  <= Investisseurs obligataires
Contribuable   =>       Remboursement + intérêts  => Investisseurs obligataires

Dans le schéma après titrisation ci-dessus, l’état n’assume plus le risque de contrepartie pour la récupération des créances qui est maintenant supporté par les investisseurs obligataires de type institutionnel (banques, compagnies d’assurance, fonds d’investissement, fonds de pensions et holdings). L’état reste néanmoins le promoteur du véhicule et surtout l’opérateur administratif dans la récupération des créances, n’étant tenu qu’à une obligation de moyens et non de résultat.

Si l'encours de ces créances représentait plus de 4 milliards d'euros à l'époque, l'état belge ne lèvera qu'un nominal de 500 millions d'euros en contrepartie, ce qui correspond à une remise (discount) de 3,5 milliards octroyée aux acheteurs obligataires de type institutionnel en raison de la mauvaise tenue des débiteurs sous-jacents et donc du profil de risque élevé des obligations fraichement émises. Les 500 millions levés pour 4 milliards d’encours présentent une décote de 87,5%  qui est le reflet de la mauvaise qualité des débiteurs et de la faible probabilité de récupération de la totalité de l’encours des créances. Les investisseurs institutionnels espèrent de leur côté récupérer les 500 millions investis (capital de départ) mais aussi un rendement sur investissement dont la tension dépendra du taux de recouvrement des créances au-delà de 500 millions d’euros. Tout ce qui dépassera ce montant sera un intérêt rémunérant l’investissement des institutionnels jusqu’à échéance des obligations. Si le montant récupéré est en dessous de 500 millions à terme, ceci devra être acté comme perte par les investisseurs. Il y a donc un risque sur investissement important.

A noter que l'administration des contributions restait en charge du recouvrement des créances fiscales au plan opérationnel alors que les investisseurs institutionnels en supportent le risque tout en percevant un rendement potentiellement élevé.

Au final, l'état belge a donc émis des obligations pourries (en anglais dans le jargon financier, junk bonds*) qu'il placera avec l'aide de Fortis Banque (maintenant BNP Paribas Belgium après les déboires que l'on connaît) auprès d'investisseurs institutionnels. Au passage, l'histoire ne nous dit pas auprès de qui ces investisseurs ont éventuellement replacé les dites obligations. L'opération n'a rien de bien compliqué au plan technique et au plan financier mais elle soulève quand même plusieurs questions en matière de gestion des finances publiques, de bonne gouvernance et de traitement des contribuables.     

Pression fiscale ciblée

Via l'utilisation d'un tel véhicule de titrisation dont les créances sous-jacentes se concentrent sur un certain groupe de débiteurs, on remarque que l'appareil d'état peut cibler et pressurer des contribuables en particulier afin d'assurer son financement tout en opérant le recouvrement au bénéfice de tiers-investisseurs. 

Nous sommes dans un montage où, à l'initiative du créancier initial, celui-ci jouit d’une motivation supplémentaire en chargeant sa propre administration pour recouvrer les créances et en payer l'éventuel fruit à des investisseurs institutionnels. Un patron mafieux instruisant ses capos de lever des fonds via le racket violent n’opérerait pas autrement.  

Obscurantisme fiscal contemporain

L'état se place dans une position cavalière où, usant de son droit souverain, il peut tantôt tromper l'acheteur des obligations sur la capacité réelle et la valeur de recouvrement des créances sous-jacentes tantôt faire supporter à l'ensemble des contribuables les éventuelles garanties ou sûretés complémentaires que l'état devra apporter à l'investisseur pour "sécuriser" l'opération. Le public n’a en fait reçu aucune explication sur les chances de récupération en termes juridiques et financiers. Aucun prospectus – placement privé auprès d’institutionnels oblige – ne fut mis à disposition par le ministère des finances.

Aucune explication n'a été fournie par le ministère des  finances quant à la déontologie relative à cette opération, surtout dans le traitement des créanciers ciblés. Le placement auprès des institutionnels s'est fait dans l'anonymat (sauf pour le nom de l’agent facilitateur Fortis Banque**), sans la moindre transparence, dans un flou qui sent à plein nez le capitalisme de connivence. 

Aucun rapport officiel n’a été mis à la disposition du public quant à la bonne tenue des obligations émises et leur remboursement en 2013. 

L’état contre l’individu

Si le lecteur se souvient, Didier Reynders se targuait à l'époque de tenir le budget du gouvernement belge à l'équilibre. C'était sans compter sur ce type d’opération « unique » dont le caractère devait devenir récurrent puisque le ministre avait déjà fait savoir à l'époque sa volonté de répéter de telles opérations à l'avenir. D’ailleurs, la titrisation ne concerne pas que les créances fiscales de l’état mais aussi ses biens immobiliers comme par exemple, sa tour des finances vendue et louée en retour par le même ministère dans le cadre d’une opération conclue avec un consortium d’investisseurs immobiliers batave. La rentrée est unique mais le coût de location et la prime à payer sont récurrents à charge du contribuable.

Pour rappel, les taux d’imposition et la fiscalité ne font pas l’objet d’un contrat librement consentis entre l’état et l’ensemble des citoyens. Au final, on perçoit rapidement comment l’état, dan une logique prédatrice, étend ses sources de financement via des opérations douteuses, obscures et non déontologiques que ses dignes représentants condamnent fermement lorsque qu’elles sont effectuées entre parties privées sur base volontaire.

* Les junk bonds (obligations pourries) sont des titres de créances émis par des débiteurs en grandes difficultés financières et présentant dès lors un potentiel de rendement élevé pour un profil de risque aussi élevé. Ce concept fut inventé par le financier Michael Milken travaillant pour la firme Drexel Burnham Lambert afin de financer les offres publiques d’achat agressives qui firent rage dans les années 1980. 

** Un tel agent se nomme en fait un « arranger ». Etant donné les juteuses commissions (ici, 457 000 euros en 2005) qui lui sont payées pour le placement, il est de bon ton généralement qu’il souscrive à l’émission obligataire également.