Le commerce mondial – l’autre plus vieux métier du monde

Nicolas Papageorgiou
Date de mise en ligne: 4 mars 2013




La Mésopotamie – Du blé à ne plus savoir qu’en faire

La Mésopotamie, terre des Babyloniens et avant eux des Sumériens et des Akkadiens. Si de telles civilisations ont pu se développer et persister des siècles durant en Mésopotamie, elles ne le doivent pas exclusivement à la fertilité de leur territoire.

Ce territoire était en effet en mesure de nourrir une grande population mais la générosité naturelle de la Mésopotamie s’arrêtait là. Elle était par exemple une très pauvre source de bois et de pierre, deux matériaux de construction indispensables. La région était également pauvre en métaux, pourtant les Sumériens sont progressivement devenus des maîtres dans la fabrication et l’utilisation du bronze, au point d’en faire un produit d’exportation réputé.

On se situe alors au 4è millénaire av. JC. Avec ces conditions de départ pour le moins déséquilibrées, on va voir se développer, naturellement pourrait-on dire, un réseau de routes commerciales de plus en plus vaste. Le centre de gravité de ces routes est la région comprise actuellement entre Bagdad et le Koweït.
La Mésopotamie va ainsi utiliser ses excédants de blé et d’autres céréales en échange notamment de bois, de pierre, de granite et de métaux de base utilisés dans la fabrication du bronze (1). Les partenaires commerciaux se trouvent dans le Sinaï, le Liban, l’Anatolie, la Perse, Oman, chacun fournissant les produits dont ils abondent. Plus tard, ce commerce s’étendra jusqu’à la rivière Indus (le Pakistan actuel) et il n’est pas exclu que l’Europe y ait participé. Progressivement, des monnaies apparaissent et facilitent les échanges et la fixation des prix.

Ce commerce a ainsi permis à diverses nations de se développer et de s’enrichir mutuellement. Elles ont pu tirer parti des produits excédentaires dont disposaient leurs voisins, qui en retour purent valoriser leurs propres excédants. Ces échanges présentant un avantage pour tous les participants, de longues périodes de paix ou à tout le moins de stabilité politique ont pu être maintenues. Il est évident que l’on n’aurait jamais entendu parler de Babylone si les habitants de Mésopotamie s’étaient contentés d’une agriculture de subsistance. D’une part, ils n’auraient jamais atteint le niveau de développement qui leur a assuré une place dans l’histoire du monde, mais en plus ils auraient certainement été supplantés par des voisins affamés.

L’antiquité à Athènes – On n’a pas de blé mais on sait où en trouver

Alors que le Royaume de Babylone allait bientôt disparaître (539 av. JC), la petite ville-Etat d’Athènes était en pleine ascension.

En termes de ressources naturelles, la situation des Athéniens était pratiquement l’inverse de celles des Babyloniens. En effet, si la culture des oliviers et de la vigne était florissante et assurait une production importante d’huile et de vin, les aliments de base tels que le blé ou l’orge faisaient cruellement défaut. Le développement progressif de la cité ne fit qu’accentuer ce déficit (1).

Dans un premier temps, Athènes put se satisfaire d’importations en provenance d’Egypte, à laquelle le Nil garantissait des surplus céréaliers conséquents. Athènes n’était toutefois pas la seule cité-Etat grecque à la recherche de blé. Les grandes rivales d’Athènes, Sparte, Corinthe et Megara présentaient les mêmes déficits agricoles.

Les cités rivales d’Athènes prirent les devants en Sicile, qui accueillit d’importantes colonies péloponnésiennes venues exploiter son riche sol volcanique. Athènes dut alors se tourner vers des sources encore plus éloignées, sur le pourtour de la mer noire et principalement sur la péninsule de Crimée, à près de 1500 km d’Athènes, une distance considérable pour l’époque.

Ici aussi, le commerce sur de longues distances a permis de se faire rencontrer des intérêts complémentaires. Athènes a pu satisfaire ses besoins en blé, une ressource de base dont la production était excédentaire en Crimée, en échange de produits plus raffinés ou sophistiqués que constituaient l’huile, le vin mais également du textile et de la poterie, autant de produits qu’Athènes produisaient en masse.

C’est grâce à ce commerce qui a mis les Athéniens à l’abri de la faim, que la cité a pu se développer dans les proportions que l’on connait, atteignant son apogée vers la fin du 5è siècle av. JC. Le déclin politique d’Athènes n’a néanmoins pas mis fin à son commerce au long cours, qui s’est poursuivi avec plus ou moins d’intensité dans les siècles qui suivirent.

Le Benelux au Moyen-Age : une terre d’exportation, déjà !

Si tout le monde a déjà entendu parler du succès mondial de nos fabricants de tramways et de chemin de fer au 19è siècle, on n’a pas forcément à l’esprit que nos contrées s’adonnaient déjà au commerce longue distance il y a 900 ans d’ici.

Déjà à cette époque, la Wallonie travaillait les métaux. Ses produits en laiton se vendaient dans tous les pays environnants. Les matières premières étaient quant à elles importées de Cornwall (extrémité ouest de l’Angleterre) et d’Allemagne (2). On discerne là un commerce d’une sophistication certaine : importer, transformer, réexporter.

De son côté la Flandre était particulièrement tournée vers la production de produits textiles, dont le succès à l’exportation alla croissant. Très rapidement, les ressources locales de laine ne suffirent plus et il fallut en importer d’Angleterre. Les principaux colorants étaient quant à eux achetés à des commerçants italiens aux foires de Champagne, les Italiens n’agissant qu’en tant qu’intermédiaires pour des produits originaires parfois d’Asie.

L’histoire ne s’arrête pas là. La prospérité croissante poussa les populations à exploiter au mieux leur territoire exigu. On augmenta la superficie des terres arables en drainant  les marais et les polders, ce qui nécessita la construction de digues. Un savoir-faire unique fut développé à l’occasion de ces grands chantiers et à son tour, ce savoir-faire devint un produit d’exportation dès le 12è siècle.
Il ne fait aucun doute que ce commerce assura la prospérité de nos contrées. Les beffrois qui s’élancent au cœur de nos villes médiévales en sont les témoins les plus marquants.

Un constat s’impose: le commerce au long court est vieux comme le monde

On l’a vu, de tous temps l’homme a commercé avec de lointains partenaires et cette activité engendra des bénéfices mutuels importants. Le repli sur soi n’aurait jamais permis à toutes ces nations commerçantes d’atteindre un développement aussi important que celui qu’elles ont connu grâce à ce commerce et c’est encore vrai à notre époque. Comment vivrait-on en Belgique aujourd’hui si notre pays stoppait toute importation et exportation ? La question ne se poserait même pas puisqu’une vie avec un minimum de bien-être y serait littéralement impossible.

Plus globalement, nous vivons actuellement une période de normalisation du commerce mondial, c’est-à-dire que l’on supprime les obstacles à son développement, obstacles résultant d’une période troublée de l’histoire du monde. Nous sommes cependant confrontés à une singularité qui ne s’est jamais présentée dans l’histoire du monde avec autant d’acuité : c’est celle de l’établissement de relations commerciales entre des nations présentant des niveaux de vie très différents.

A court terme, le choc est rude pour les nations les plus prospères mais ce n’est pas une raison suffisante pour refuser cette normalisation. Plus on la retarderait, plus les écarts de niveaux de vie risqueraient de s’accroître, ce qui ne serait souhaitable pour aucune des parties concernées. A long terme, on sait de plus de 5000 ans d’expérience acquise en la matière que tout le monde bénéficie de l’échange avec le reste du monde.

Ce qui importe plus que jamais pour les nations développées et la Belgique en particulier, c’est de s’adapter pour tirer le meilleur parti de cette normalisation du commerce mondial. Toute tentative d’entraver ce mouvement se révélerait contre-productive à long terme.

(1) « A Splendid Exchange » de William Bernstein, Ed. Atlantic Books (2009)
(2) « A History of the Low Countries », Paul Arblaster, Ed. Palgrave MacMillan (2006)